Dakarmidi – Les guerres commerciales qui se déroulent sous nos yeux, en ce début de 21e siècle, opposant les États Unis et la Chine, les États Unis et le Canada et enfin les États Unis et l’Europe, précédées par l’éclatement de l’empire soviétique, la crise Yougoslave et la réunification Allemande, constituent des bouleversements majeurs qui ont posé et posent encore aujourd’hui, au devant de la scène, les questions de protectionisme, de patriotisme, de souveraineté et par conséquent de nation.
Ces questions sont apparues, en contradiction apparente, avec une mondialisation de plus en plus accrue de l’économie, marquée par une forte interdépendance des nations et une internationalisation croissante des flux d’hommes, de capitaux, de produits et d’informations.
Ce phénomène de mondialisation, d’interdépendance et d’internationalisation, couplé au débat sur les questions de préférence nationale, n’épargne pas le Sénégal à la lumière de plusieurs faits qui ont marqué l’actualité de ces derniers mois. Le débat entre le Directeur Général de Air Sénégal, SA. et l’expertise aéronautique locale, les manifestations anti APE et anti CFA, le tollé général soulevé par le “dessert” du Président de La République, la Place de l’Europe à Gorée et plus récemment, l’initiative par un groupe d’industriels et d’entrepreneurs Sénégalais de créer une structure pour la défense des intérêts du privé national et les rumeurs alarmantes d’une probable ouverture du secteur de la volaille à la concurrence étrangère sont, dans le même ordre, autant d’événements qui questionnent le sens de notre souveraineté nationale, sujet constamment agité dans les forums de discussions.
Ces préoccupations sont légitimes au vu de la présence, du poids et de la main mise de plus en plus importante du capital étranger, Français surtout, sur des secteurs importants et stratégiques de notre économie nationale.
Des préoccupations justes et fondées qui remettent en cause, de manière profonde, l’action de l’État dont le chef, Le Président de la République, tenait les propos suivants lors de la celebration de la fête de Korité de Juillet 2014:
” Je continuerai avec la même détermination et le même engagement, l’oeuvre de construction nationale conformément à la confiance des Sénégalais placée en moi pour conduire les affaires de la cité”.
Certes, détermination et engagement peuvent, éventuellement, être concédés au Chef de l’État dans sa démarche dont la justesse est cependant contestable; car, trés important à nos yeux, demeure dans son “oeuvre de construction nationale” l’absence d’une vision, d’un sentiment patriotique et d’une défense des intérêts vitaux de la nation.
Une nation, au-delà des facteurs objectifs qui la caractérisent, est aussi un projet politique qui traduit une volonté collective au travers de symboles autour desquels elle se construit; ces symboles constituant des valeurs à la source desquelles le peuple doit se nourrir. Et construire une nation consiste d’abord à mieux comprendre la spécifité des symboles qui la constituent, en visitant leurs sens éthymologiques et à se donner les moyens de leur appropriation pour en faire des symboles vivants.
Notre devise nationale: “Un Peuple – Un But – Une Foi” constitue un de ces symboles et traduit un élèment de volonté et de dessein sur la base d’une croyance, d’une confiance et d’une loyauté de l’individu dans et envers la communauté. L’action de l’État, à cet égard, pose problème. Y’a t’il dans la politique gouvernementale et la démarche qui la sous tend des actes qui traduisent une foi en son peuple et en ses institutions, en direction de l’Entreprenariat National Sénégalais et l’Expertise Nationale Sénégalaise? Peut-on donner du crédit à une oeuvre de construction nationale dès lors que prévaut le sentiment justifié d’un déséquilibre dans l’allocation des ressources nationales en faveur du capital étranger et au détriment des nationaux?
Il est important de préciser ici, que les entrepreneurs nationaux Sénégalais et experts Sénégalais de tous bords ne sont pas des ennemis de la Nation et ne doivent pas être considérés comme tels. Mieux encore, il est utile de marteler qu’ils seront les premiers, en cas de besoin, à verser leur sang pour défendre la patrie et justifier le rouge figurant sur notre drapeau national (un autre symbole). De ce point de vue, il est légitime de questionner la compréhension que Le Chef de l’État, Le Président de la République, a de son titre de Chef des Armées, le sens qu’il lui accorde et la mesure qu’il en donne de sa portée? Alors, au nom d’une véritable oeuvre de construction nationale et pour le bien de l’économie nationale et de la nation entière, les entrepreneurs et experts Sénégalais ne peuvent et ne doivent être oubliés ou handicapés au profit des non nationaux.
Il ne s’agit point, à travers ce plaidoyer, de prôner une quelconque autarcie ou forme de repli sur soi; le propos est de préciser qu’il faut une nouvelle politique nationale de défense de nos intérêts économiques, stratégiques et vitaux; avec une conception nouvelle du rôle et de la place de l’entreprenariat local national et de l’expertise Sénégalaise dans notre économie et de leurs rapports avec l’État.
Il s’agit, à travers la politique de l’État, d’harmoniser, à travers un mouvement conciliatoire, deux exigences: l’insertion progressive du Sénégal dans l’économie mondiale et la prise en charge des revendications souverainistes et patriotiques; en privilégiant celles-ci dans ce qu’elles ont de légitime et ce qu’elles comportent de bienfaits pour la nation et d’accepter l’ouverture que ceux-là proposent tout en limitant leurs effets nocifs et destabilisateurs.
Si, nous n’avons pas l’audace de décider, par nous mêmes et pour nous mêmes, des modalités de la création de notre monnaie, symbole de souveraineté et instrument essentiel de politique économique, de son émission, de sa circulation et de son usage ni le courage de dire non aux APE (Accords de Partenariat Économique) tels qu’ils ont été negociés et conçus, ayons la volonté et l’intelligence de sauvegarder, de conforter et de promovoir, pour tirer profit de ce qui nous reste de vital: le génie de nos populations.
Si l’investissement direct étranger est nécessaire pour une croissance durable de l’économie Sénégalaise, il doit cependant être acceuilli selon des termes et conditions qui ne mettent pas en péril les efforts et volontés d’accumulation et de croissance des hommes d’affaires Sénégalais.
À l’image du “Nigerian Content Act”, l’attribution des marchés publics aux entreprises étrangères devrait se faire selon des règles nouvelles qui incluent la participation des entrepreneurs nationaux, nonobstant les conditionalités liées aux emprunts destinés au financement de ces marchés.
Quoi que puisse être la nature de nos accords commerciaux, aux plans bilatéral et multilatéral, certains secteurs d’activités dans lesquels les entrepreneurs Sénégalais s’investissent et connaissent des succés, doivent faire l’objet d’une protection intelligente.
Par ailleurs, comment accepter que l’entreprenariat Sénégalais, dans ses tentatives de pénétrer le marché Americain, perd chaque année des centaines de millions de francs pour cause de non adaptation de leurs produits aux normes et standards Americains. Que font les structures publiques chargées de ces questions pour remédier à ce désastre économique et financier? Ne comprenons nous pas que les exportations Sénégalaises sont créatrices d’emplois?
Il est impératif que les entrepreneurs Sénégalais soient soutenus, encadrés et accompagnés par un État développeur à travers des politiques de promotion volontaristes basées sur des leviers à caractère fiscal, financier, technologique, managérial, commercial et réglementaire. Le “Nigerian Content Act”, évoqué plus haut, constitue, à cet égard, un exemple éloquent de protectionisme intelligent et de promotion efficace de l’entreprenariat Nigerian dont il faut s’inspirer.
Que l’expertise nationale dans tous les domaines et de tous bords, au Sénégal comme à l’etranger soit sollicitée et que l’opportunité lui soit offerte de montrer la mesure de son engagement au service de la nation. C‘est en cela que se posent les jalons d’une oeuvre véritable de construction nationale.
Que sont devenus les slogans sur La Patrie? Que reste t’il des grands discours sur les valeurs?
Rien! Sinon, que des pratiques qui interdisent d’attribuer aux politiques entreprises et à la pensée qui les sous-tend un coefficient de rupture volontaire équivalent à celui du changement de régime auquel elles coincident.
En vérité, le doute n’est plus permis quant à l’échec du pouvoir dans son oeuvre de construction nationale et même dans la poursuite de l’oeuvre de construction étatique. Aujourd’hui, c’est un pouvoir d’État étranger qui règne sur le Sénégal, sans racines dans le pays, se présentant tantôt sous une forme civilisée, tantôt sous celle d’un oppresseur et qui pèse à tout moment sur la vie des citoyens jusqu’à mettre en doute leur existence. Alors, ne nous quitte, tout au long de ces sept années, ni le long cortège des souffrances, ni la vague lancinante des humiliations que l’actualité ne manque de nous rappeler.
“Du dessert des Français en faveur des tirailleurs Sénégalais” évoqué par le Président de la République, a l’interview du Directeur Général de Air Senegal, fustigeant l’expertise aéronautique Sénégalaise sur le site de Dakaractu, en passant par la gestion du dossier de l’autoroute à péage, l’hégémonie turque a l’AIBD (Aéroport Internationl Blaise Diagne), etc….., Ce sont les symboles d’une quasi soumission de l’État Sénégalais à l’etranger et à la France en particulier, qui fraudent l’espace public pour jeter du sel sur nos déchirures encore béantes.
Franchement, la présence d’un Français, en ce 21e siècle, à la tête d’une entreprise publique Sénégalaise, entre autres forfaits, nous reste en travers de la gorge; demeure insultant, inabsorbable, indigeste et reflète nos aspirations toujours deçues à la souveraineté nationale. Aucune parcelle de pouvoir, aussi réduite soit elle, ne peut et ne doit être attribuée a ceux-là qui sont séparés du peuple.
Par conséquent, disons le, ici et maintenant, il est opportun et c’est de salut public d’adopter une nouvelle loi constitutionnelle qui encadre les pouvoirs de nomination du Président de La République et qui interdit, au nom de l’oeuvre de construction nationale, de désigner un étranger à la tête d’une entreprise sénégalaise à capitaux publics majoritaire.
C’est là un chantier, parmi tant d’autres, d’un nouveau président.
Gloire à la nation.
Par Moussa Signate
New Jersey, USA